Relancer la construction de logements, l'équation à plusieurs inconnues
La construction de logements neufs est en panne depuis plusieurs mois déjà, en Ile-de-France comme partout ailleurs en France. Les derniers chiffres publiés mi-novembre par la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) illustrent l'ampleur de la chute de la construction. En 2023, ce seront moins de 90.000 logements neufs qui auront été vendus, contre 127.300 en 2022 et 165.000 en « année normale ».
Les constructeurs se plaignent d'être pris en étau par deux effets qu'ils ne maîtrisent pas et qui pèsent sur leur activité : une contraction simultanée de l'offre et de la demande. « Nous traversons une crise multifactorielle », résume Pascal Boulanger, président de la FPI. « La situation a commencé à se dégrader en 2020 lors des élections municipales. Juste avant cette échéance, les maires ne délivraient presque plus de permis de construire afin de ne pas mécontenter leurs électeurs », ajoute ce dernier.
Plusieurs événements négatifs se sont enchaînés : crise d'approvisionnement des matériaux, guerre en Ukraine, remontée des taux de crédit… Résultat : l'offre de logements disponibles s'est réduite et les ventes se sont effondrées.
80 % des immeubles de 2050 sont déjà là
Pour autant, le besoin de logements est toujours aussi criant. Les analyses et les pistes proposées pour sortir de l'impasse sont variées. Pour Ingrid Nappi, économiste à l'Ecole des Ponts ParisTech, « quand on parle logement, il y a à la fois le flux, soit les logements neufs, et le stock, autrement dit le parc existant. Or c'est le bâti déjà construit qui est le plus important en nombre. Il convient de le soigner, car il est malade. Ce parc ancien est, dans le public, vieillissant, et, dans le privé, obsolète et vampirisé par le phénomène des locations de courte durée ». Comme l'illustre sans ambiguïté le titre choisi par l'Etablissement public foncier d'Ile de France pour son colloque annuel, événement dont Les Echos sont partenaires : « Foncier et territoires : comment sortir de la crise du logement ? ».
Pour Gilbert Emont, coauteur du livre « Habiter la France urbaine » et spécialiste du logement à l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF). « Il y a, certes, un mouvement général de métropolisation à prendre en compte. Mais à quoi sert de construire davantage, si ce n'est pour remplacer le parc impropre à répondre aux exigences de la transition climatique. » Participant à seulement 1 % du renouvellement du parc immobilier par an, la construction neuve ne serait pas le noeud du problème.
« Près de 80 % des immeubles de 2050 sont déjà là », rappelle Franck Boutté, consultant en environnement. « L'idée est de les réhabiliter et de prévoir aussi leur réversibilité dans le temps », poursuit Marc Seifert, président de l'agence d'architecture A26. Cette démarche inclut une densification plus forte des parcelles déjà urbanisées avec, au programme, par exemple, des surélévations d'immeubles existants.
Le foncier : 30 % du prix de sortie
Pour lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, une piste complémentaire passerait par la valorisation d'anciennes friches, dont le gisement est important. Des réalisations existent déjà. « A Clamart [quartier du Panorama, dans les Hauts-de-Seine, NDLR], un ancien terrain occupé par le Commissariat à l'énergie atomique s'est transformé en un grand quartier de logements avec un lac », précise Marc Seifert.
Beaucoup d'acteurs planchent sur la façon de fabriquer du logement à un prix abordable car « on est arrivé à un niveau où les prix sont dramatiquement trop élevés, particulièrement en Ile-de-France où le foncier est rare, cher et la demande forte », indique Xavier Lépine, le président de l'IEIF.
Pour mémoire, le prix moyen du neuf en Ile-de-France s'élève actuellement à 5.463 euros le mètre carré contre 4.791 euros sur le territoire national. Certains soulignent la nécessité d'avoir un foncier moins coûteux, sachant que ce dernier pèse autour de 30 % dans le prix de sortie d'une opération.
Des initiatives publiques sont en cours. « Dans la ZAC d'Ormesson-sur-Marne [Val-de-Marne, NDLR], nous avons lancé une consultation mettant en avant cette thématique du logement abordable », indique Laurent Girometti, directeur général des établissements publics d'aménagement de Marne-la-Vallée.
Construction modulaire pour baisser les coûts
Le lancement récent d'opérations en bail réel solidaire ou celle en cours de montage avec un bail emphytéotique visent à faire baisser le prix d'accès à la propriété en dissociant le prix du bâti (acheté par l'occupant) de celui du foncier (loué).
Et pour tenter d'abaisser le coût de construction, « qui représente près de 50 % du prix de vente », précise David Marquet, directeur général adjoint de Linkcity Ile-de-France, les promoteurs commencent à changer leurs habitudes. Certains industrialisent leur procédé en fabriquant des modules en usine qui sont ensuite acheminés et assemblés sur le chantier. Moins polluante, cette méthode s'avère plus rapide et moins coûteuse. « C'est en faisant du volume et en réalisant des économies d'échelle que le coût de fabrication en usine baissera », affirme Stéphane Dalliet, directeur général du pôle promotion de Nexity.
Laurence Boccara